Comme Pipe Gazette vous l'a annoncé dans sa rubrique "En bref", le grand pipier danois Sven Knudsen s'est éteint le 25 novembre dernier. Lucien Georges, pipier corse qui a côtoyé le grand maître, lui rend ici hommage. Son article est illustré par quelques belles réalisations de Sven, appartenant à l'auteur de l'article.
Bastia, été 1966 – " Bonjour Lucien, j’ai ici deux pipiers Danois qui cherchent des ébauchons. Je te les envoie" . Propos téléphoniques d’un ami propriétaire d’un camping à l’Arinella, plage de Bastia.
Le hasard fait bien les choses. C’est dans ces conditions que j’ai eu l’honneur de faire la connaissance de Sven Knudsen, le plus grand des maîtres pipiers, disparu dans son Danemark natal le 25 novembre dernier. Il était venu en Corse, avec son ami Former, autre grand pipier, à la recherche de cette belle bruyère si réputée et mondialement connue pour son caractère exceptionnel.
En ces temps « reculés », les Danois avaient eu la puce à l’oreille, et deux d’entre eux, infatigables globe-trotters de l’erica arborea, avaient eu l’audace de pousser jusqu’en Corse pour tenter de dénicher quelques pièces de ce nectar, pour leur propre fabrication de pipes handmade.
Visite à la Riviera Briar Pipe, entreprise familiale d’ébauchons dont j’étais l’héritier, et achat d’une petite centaines de pièces: des plateaux flammés payés en dollars au double du prix chichement consenti par Saint-Claude à cette époque. Quelle est importance, me direz-vous, d’un achat si étriqué auprès d’une entreprise qui produisait ½ million d’ébauchons à destination des plus grands fabricants ? Voici la réponse : " La marchandise de bonne qualité doit se payer un bon prix ". Telle fut l’appréciation de Sven le campeur, qui savait -oh combien- qu’il était impératif de sélectionner sévèrement sa matière première pour être présent dans la cour des grands.
Les relations commerciales conduisent quelques fois à une amitié sincère: Sven se mit à importer cette matière première pour son propre compte, mais aussi pour la distribuer aux autres artisans danois. Les rapports d’amitié amplifiant, curieux de découvrir le Danish way of pipemaking, je me rendis pour la première fois chez Sven en 1969. A cette occasion, je découvris son atelier, sa façon de travailler, son amour pour la bruyère, sa dextérité, et sa renommée internationale. C’était déjà un très grand pipier, considéré comme un vrai maître par ses confrères qui n’étaient autres que Ivarson, Former et son propre frère Teddy. Quelle fascination de le voir travailler, transformer un bel ébauchon flammé en une magnifique pipe unique, vivante, extraordinaire ! Les Japonnais, grands copieurs-photographes de l’époque, s’arrachaient déjà ces pipes à prix d’or.
Envahi par la passion de la bruyère, fasciné par la transformation d’un ébauchon en objet d’art par le maître, je ne pus m’empêcher de retourner le plus souvent possible au Danemark voir évoluer ce virtuose, avec le désir caché de lui demander de me transmettre -sinon son savoir- mais pour le moins son "savoir-fabriquer" une pipe. J’avais la trouille, car à l’époque les portes des usines de pipes que je visitais régulièrement étaient bardées de pancartes « défense d’entrer » , « interdit au public ». Les secrets de Polichinelle avaient valeur de secrets d’état: le sacro-saint cloisonnement de cette période. N’insistons pas puisque l’opacité tomba chez Sven le campeur qui, portes grandes ouvertes, m’ouvrit aussi son cœur en acceptant de me communiquer sans restrictions tout son savoir – non, pardon - tous ses secrets de fabrication , poussant son désir de transmettre jusqu’à venir installer mon propre atelier (copie conforme du sien) en Corse quelques années plus tard.
« Non, Lucien, ce n’est pas encore ça. Tu mettras encore beaucoup de temps avant de maîtriser cette matière ». Telle fut sa réponse alors que je croyais que mes premières pipes étaient réussies. Il avait mille fois raison, les quelques recommandations essentielles qu’il m’a transmises demeurent pour moi des commandements. Oui, Sven, c’est l’ébauchon qui commande, mon crayon doit capter le plus beau grain, le meilleur veinage, pour fabriquer une belle pipe.
Ensuite, chacun fit son chemin, lui dans les hautes sphères, et moi en tant que simple pipier passionné de belles bruyères. Puis, il fut handicapé par la maladie au point de ne plus pouvoir disposer de ses capacités à plein temps. Quelle sanction terrifiante pour ce maître pipier qui a assisté ces dernières années à une banalisation souvent dégradée de cet art qui, heureusement, compte encore de très bons pipiers, mais seulement quelques uns…comme en 1966.
Arriva l’heure du dernier voyage, ce 25 novembre 2010. Sven, tu n’avais sans doute plus de secrets à transmettre. Ta mission en ce monde tourmenté fut exemplaire. Tu nous a quittés en douceur, en honnête homme, en grand maître de la pipe. Que tu resteras.
Ton petit élève te dit respectueusement et éternellement: MERCI.
Lucien Georges
Bastia, été 1966 – " Bonjour Lucien, j’ai ici deux pipiers Danois qui cherchent des ébauchons. Je te les envoie" . Propos téléphoniques d’un ami propriétaire d’un camping à l’Arinella, plage de Bastia.
Le hasard fait bien les choses. C’est dans ces conditions que j’ai eu l’honneur de faire la connaissance de Sven Knudsen, le plus grand des maîtres pipiers, disparu dans son Danemark natal le 25 novembre dernier. Il était venu en Corse, avec son ami Former, autre grand pipier, à la recherche de cette belle bruyère si réputée et mondialement connue pour son caractère exceptionnel.
Envahi par la passion de la bruyère, fasciné par la transformation d’un ébauchon en objet d’art par le maître, je ne pus m’empêcher de retourner le plus souvent possible au Danemark voir évoluer ce virtuose, avec le désir caché de lui demander de me transmettre -sinon son savoir- mais pour le moins son "savoir-fabriquer" une pipe. J’avais la trouille, car à l’époque les portes des usines de pipes que je visitais régulièrement étaient bardées de pancartes « défense d’entrer » , « interdit au public ». Les secrets de Polichinelle avaient valeur de secrets d’état: le sacro-saint cloisonnement de cette période. N’insistons pas puisque l’opacité tomba chez Sven le campeur qui, portes grandes ouvertes, m’ouvrit aussi son cœur en acceptant de me communiquer sans restrictions tout son savoir – non, pardon - tous ses secrets de fabrication , poussant son désir de transmettre jusqu’à venir installer mon propre atelier (copie conforme du sien) en Corse quelques années plus tard.
Ensuite, chacun fit son chemin, lui dans les hautes sphères, et moi en tant que simple pipier passionné de belles bruyères. Puis, il fut handicapé par la maladie au point de ne plus pouvoir disposer de ses capacités à plein temps. Quelle sanction terrifiante pour ce maître pipier qui a assisté ces dernières années à une banalisation souvent dégradée de cet art qui, heureusement, compte encore de très bons pipiers, mais seulement quelques uns…comme en 1966.
Ton petit élève te dit respectueusement et éternellement: MERCI.
Lucien Georges
5 commentaires :
Merci Lucien pour ce témoignage
un ami qui nous quitte et c'est un peu de soi-même qui part avec lui
beau témoignage d'humilité et de reconnaissance pour celui qui restera ton maître
que Dieu le garde
de tout coeur avec toi
Michel
merci Lucien pour ce témoignage
Merci Lucien pour ce témoignage, mais des artistes comme Sven ne meurent jamais quand ils ont eu l'opportunité de transmettre tout où partie de leur savoir. Grace à toi il continuera d'exister dans tes propres réalisations.
Bonjour Moineau80,
Bien entendu, Sven continuera d'exister dans mes réalisations car il m'a tout appris dans ce métier, et que par conséquent,il existera toujours quelque part un peu de Sven dans ma façon de fabriquer des pipes. Cependant, loin de moi l'idée de l'égaler ou de le surpasser. Là aussi, son esprit demeure car il n'a lui même jamais joué les podiums. Il était tout naturellement le plus grand.
Lucien
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