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Exemple

28 juin 2014

✔ PORTRAITS DE FUMEURS DE PIPE: PIERRE FESQUET




Un jour de printemps, à Paris, Pierre Fesquet répète la pièce "La Boutique de l'Orfèvre" de Karol Wojtyla -futur Jean-Paul II- qu'il met en scène et interprète. Il la reprendra en septembre et octobre, dans la crypte de Saint-Sulpice.  Mais il me rejoint pour déjeuner, dossier sous le bras, sac en bandoulière, sourire aux lèvres et pipe en bouche. Pierre est comédien et chanteur. Il aime par dessus tout allier la poésie et la musique. Ce qu'il a fait avec Marie-Christine Barrault dans "Notre sentier", joué jusqu'en Autriche. Mais aussi dans "La Fontaine / Brassens", également avec Marie-Christine. Ou encore, en cette année du centenaire de la disparition de Charles Péguy, dans un spectacle dédié au poète, qu'il joue au côté de Michael Lonsdale. Avec ce dernier, il travaille sur l'écriture d'un livre également consacré à Péguy.  
Par ailleurs, l'an passé, Pierre a créé le spectacle "Tabac, Pipe et Poésie" dans un cabaret du 14° arrondissement de Paris, et espère le redonner cette année. Ce divertissement lui va si bien: il a imaginé mêler textes d'auteurs, airs lyriques et mélodies populaires, autour de l'herbe à Nicot et des bouffardes, dont la littérature et la chanson regorgent. Comme ce texte de Francis Jammes dont il nous dit un passage.





DES RACINES TRÈS FAMILIALES

"Mes deux grands-pères et mon père fumaient la pipe", se souvient Pierre. 
Voilà le sujet lancé. Et l'origine de la passion pour la bruyère déjà trouvée. "Mon grand-père paternel fréquentait le magasin Nicolas à Lyon. Je crois même qu'il y avait fait fabriquer une pipe sur mesure. Je me rappelle qu'il avait l'habitude de taper sa pipe contre sa chaussure pour vider la cendre... et ses pipes en portent encore la marque !" 
Il se souvient aussi que son grand-père maternel réutilisait ce qu'il lui restait de ses cigarettes pour bourrer son fourneau. Autre temps, autre façon de pétuner. Enfant, Pierre mettait parfois en bouche des pipes éteintes appartenant à son père. Et se disait: "Quand je serai grand...". 
"Mon père, lui, ne fumait la pipe que lorsqu'il était dans le club hippique qu'il fréquentait. Je l'y accompagnais".
Est-ce aussi parce les artistes qu'il admirait, les Compagnons de la chanson comme les Frères Jacques, fumaient la pipe pour bon nombre d'entre eux qu'il est lui-même devenu un compagnon de la bruyère et un frère de la bouffarde ? "Mon père connaissait les Compagnons, et voir ces chanteurs m'a sans doute influencé inconsciemment".

LES PREMIÈRES BOUFFÉES

Adopter la pipe devint une évidence pour le jeune Pierre, alors âgé de 17 ans, qui commença par fumer une bruyère paternelle au fourneau fendu... Ce père pétuneur lui déconseilla l'Amsterdamer ("ça sent la paille"). "À 20 ans, j'ai acheté ma première pipe à la civette de Dijon, ville où je faisais des études de commerce. C'était une Peterson".
Foin de l'Amsterdamer ! Il opta pour le Clan, qu'il délaissa rapidement pour l'Alsbo Black. "J'avais l'impression que c'était le nirvana", s'amuse-t-il aujourd'hui.
Ses parents s'étant installés à Evian, Pierre Fesquet eut ensuite l'occasion de faire quelques emplettes en Suisse. Découvrant la célèbre maison Besson à Lausanne, il adopta rapidement le "Mélange du Préfet", doux et légèrement aromatique. Les tabacs de type danois gardent d'ailleurs sa préférence. Un Davidoff Danish Mixture, par exemple. Ou un Mac Baren 7 Seas Royal Blend. Cependant, il ne refuse pas de déguster de temps en temps une pipe bourrée de Burrus ou de semois, des tabacs bruns. L'un suisse, l'autre belge.
Mais c'est davantage dans les contrées alpines qu'en Wallonie qu'il perçoit le plaisir olfactif de la pipe. Olfactif, et visuel, car Pierre considère comme étant la quintessence du bonheur ces moments passés au pied d'un refuge de montagne, à contempler la ligne lointaine du massif dont il voudrait faire son Everest. "Je suis devenu ami d'une famille de montagnards grâce à la pipe. Ils m'ont abordé, tout simplement parce que je fumais et que ça m'a rendu sympathique à leurs yeux". Comme ils ont eu raison de sentir, au travers du parfum d'un pétun et de l'allure généreuse d'un fumeur de bruyère, les bonnes ondes qu'émet Pierre Fesquet.


AU FEU, MA COURRIEU !

À la maison, à Orléans, il dénombre quatre-vingts pipes, qu'il range sur le rayonnage d'une bibliothèque. Rien de plus classique, au fond, comme manière de mettre à l'abri sa collection. Ce qui l'est moins, c'est sa façon de les transporter. "Je les mets dans des chaussettes!", explique-t-il malicieusement, tout en sortant une à une de son sac quelques socquettes cachant ses protégées." L'autre jour, j'ai intercepté à temps une de ces chaussettes pleines, dans le tambour du lave-linge! ". 
Parmi ses préférées, outre la Peterson acquise par lui-même, figure une belle billiard Ropp, celle de son grand-père, restaurée par Pierre Voisin. Il aime aussi une Jean Nicolas, également en provenance de son aïeul, une Parker de forme belge achetée au Bon Marché il y a belle lurette, une Dunhill offerte par son frère, une petite courbe de l'Oriental, et une LJG (Lucien Georges) dublin droite. 
Il se rappelle, le sourire jusqu'aux oreilles, le jour où il venait d'acheter une Courrieu rue Saint-Honoré, dans le magasin parisien aujourd'hui disparu. " J'étais bien, je venais de m'inscrire à un cours de théâtre. J'avais choisi une belle bouffarde, de forme Sherlock Holmes. Je m'installe dans un café, où j'aperçois d'ailleurs le comédien Laurent Terzieff, installé là, fumant lui-même sa pipe. J'allume la mienne, toute neuve.  Mais elle prend feu immédiatement !".  Déception vite oubliée, d'autant plus que le vendeur l'a remplacée sans sourciller, reconnaissant le vice caché de cette bruyère inflammable.

LUXE, CALME ET VOLUTÉ

Pierre Fesquet, fumeur irrégulier, aime la pipe en période de création, d'écriture, mais concède se ruer sur des Benson & Hedges en phase de stress. "J'ai alors un sentiment d'infidélité", avoue-t-il.
Oui, la pipe, c'est l'ami des jours posés, de la réflexion, de la lecture. Pierre s'autorise alors d'associer les volutes d'un fourneau bien tassé aux effluves d'un léger verre de whisky. Il se cale dans un fauteuil de forme arrondie, généreuse, s'apprête à lire un roman ou du théâtre, et allume délicatement une de ses bruyères, qu'il charge alors de quelques grammes d'un mélange élaboré par lui-même: du 1637 et un peu de tabac vanillé. 
L'objet le détend, le sécurise. Il affectionne les courbes en hiver, les droites en été. Sans pour autant ressentir une quelconque addiction. "Je peux passer un ou deux mois sans fumer, mais je prends mes pipes dans les mains pour le plaisir de les toucher".
En tournée, il en emporte quelques unes, sans oublier, bien sûr, le lot de chaussettes qui va avec. Ces pipes voyageuses, il ne les fume pas. Elles sont là, près de lui. Leur présence suffit à le rassurer. Parfois, elles accompagnent son sommeil: "Quand j'ai un souci quelconque, je rêve la nuit que je suis dans un magnifique magasin de pipes en Suisse. Et je vais de village en village...". 
Nul besoin de se prénommer Sigmund pour interpréter ce rêve. La pipe et le pays helvète associés dans les bras de Morphée: luxe, calme et voluté.

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4 commentaires :

Anonyme a dit…

Voilà donc un autre comédien fumeur de pipe,comme Guillaume Laffly.

Alain a dit…

Merci Nicolas pour ce portrait de Pierre Fesquet. Comme toujours c'est passionnant et enrichissant de voir comment nos co-religionnaires pratiquent leur passion, chacun ayant une approche différente et pouvant apporter des conseils aux autres. Je retiens le truc du transport en chaussettes !!!

Anonyme a dit…

Chaussettes propres ?

Marc a dit…

Je viens de lire cet article profitant d'un week-end de repos. Bravo ! Quel plaisir de lire un tel récit. sois méme en fumant une bonne bouffarde ! La pipe qui prend feu, voila un malheur qui ne met jamais arrivé. Mais heureusement que le vendeur l'a échanger. Je me souviens du magasin Courrieu tenu par une dame à Paris. Dommage qu'il est diparu. Allez, bonjour à tous les fumeurs de pipe !